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ondateur et à la tête d’un des leaders de la restauration collective, le Toulousain a su conforter la place du groupe à l’international.

En vingt ans à la tête du TFC, j'ai appris beaucoup de choses, et en particulier à gérer la pression. » Au cours de la longue séquence, achevée il y a deux ans, durant laquelle il était à la tête de l'équipe de foot emblématique de Toulouse, Olivier Sadran, 54 ans, qui fuit la notoriété comme la peste, n'a pu éviter d'être en première ligne. Aujourd'hui, plus besoin de semer les paparazzis, il respire et se consacre totalement à sa société, Newrest, un des leaders européens de la restauration collective (1,7 milliard d'euros de chiffre d'affaires). Vêtu d'un pull et d'un jean, il reçoit dans son bureau d'un immeuble ancien du boulevard Lazare-Carnot, en centre-ville, qui, avec ses balcons en fer forgé et ses bow-windows tout verts, frappe immanquablement la vue des passants. Rester enfermé, ce n'est pas le truc de Sadran. « Après deux semaines ici, je ne tiens plus en place. J'aime bien être sur le terrain », explique-t-il. Et son terrain à lui, c'est la planète.

Newrest, qu'il a créé à Toulouse en 1996, emploie maintenant près de 37 000 personnes dans une soixantaine de pays. La société assure la restauration pour des entreprises, des administrations, des écoles, des universités, des hôpitaux… Plus acrobatique, pour des compagnies minières ou pétrolières (Vale, Glencore, Total, Shell, Rio Tinto…), elle fournit dans des bases vie perdues dans les endroits les plus reculés des services de nourriture, de couchage, de nettoyage. Pour Sadran, l'extrême de l'extrême dans cette catégorie serait la mine de San Cristobal (zinc, plomb, argent), la plus grande de Bolivie, située à 4 300 mètres d'altitude dans les Andes. « J'aime beaucoup le métier des bases vie, car il implique que nous tissions des liens avec les populations locales, que l'on travaille ensemble, que l'on assure des formations », confie-t-il.

Autre activité de Newrest, la restauration à bord des trains, qui réclame une énorme logistique pour maintenir les chaînes du froid. Newrest a beaucoup appris en travaillant avec son principal client, la SNCF – « une compagnie injustement critiquée » –, avant d'essaimer. En Europe d'abord, avec la compagnie autrichienne ÖBB, connue pour ses trains de nuit traversant le Vieux Continent. Ou encore au Maroc, où Newrest assure le service à bord du TGV Casablanca-Tanger. « Le sandwich SNCF, ça n'existe plus. Aujourd'hui, nous prenons les conseils de Thierry Marx, un chef étoilé », précise-t-il.

Implantation aux États-Unis

Reste que la grande affaire, celle qui a mis sur orbite l'entreprise, demeure la restauration à bord des avions (easyJet, Air France, SAS, Qatar Airways, Etihad, Air China…). L'an dernier, les plateformes d'Oslo, de Copenhague et de Stockholm ont été renforcées pour mieux servir la compagnie scandinave SAS. Mais le gros coup dans le catering aérien s'est produit durant la crise du Covid. C'est dans ces circonstances exceptionnelles que Newrest a réussi à s'implanter aux États-Unis. Une histoire qui illustre à merveille le côté fonceur et volontaire de Sadran. « Dès le premier jour de l'alerte Covid, d'instinct, on a refusé de croiser les bras. Nous sommes restés présents au siège. Nous avons soutenu nos équipes dans nos pays, note Sadran. Nous avons pris des décisions dures pour le personnel, mais avons trouvé des éléments de solidarité en consacrant 30 % du salaire des cadres aux employés d'Afrique et d'Amérique latine qui ne bénéficiaient d'aucune aide des États. »

Pour l'entreprise, le choc a été violent, le chiffre d'affaires s'est effondré de plus du tiers. C'est pourtant durant cette période chahutée que Sadran a entrevu une ouverture aux États-Unis, où son groupe était pratiquement absent. « On a pris contact avec Delta et United, qui avaient des problèmes avec leurs fournisseurs de repas à bord », se souvient-il. Ça a fonctionné. Une fois conclus les marchés avec ces deux compagnies, qui figurent parmi les plus grandes compagnies mondiales, Newrest a mis sur la table 100 millions de dollars pour monter ses plateformes, l'une à Atlanta, le plus grand aéroport du monde, où se trouve le hub de Delta ; l'autre à Houston, pour le hub d'United. « En 2019, nous n'avions pratiquement rien aux États-Unis. Aujourd'hui, nous avons un carnet de commandes de 3,5 milliards de dollars », dit-il. En dehors de la France, les États-Unis sont devenus le premier marché du groupe. Un sacré coup qui ne doit rien à la chance.

L'accent mis sur le digital

« Faire des plats, cuisiner, n'est pas la chose la plus difficile, explique Sadran. Mais quand on doit approvisionner des hubs, soit de 400 à 500 vols par jour, il faut savoir livrer à temps des milliers de plateaux-repas. Et là on n'est plus dans le manuel, on est dans la data. » À Atlanta et à Houston, les plats préparés par Newrest circulent sur des chaînes robotisées. Voilà vingt-cinq ans que l'entreprise a mis l'accent sur le digital en créant ses logiciels propriétaires. « Ils couvrent l'entièreté de nos besoins, des approvisionnements à la facturation, en passant par les contrôles d'hygiène et la sécurité, indique Sadran. Le digital, c'est aussi le suivi des données, du départ au retour de l'avion. » Le siège de Toulouse n'est donc pas peuplé de chefs cuistots mais d'informaticiens. L'opération commando menée aux États-Unis est un peu le résumé de la culture maison à Newrest.

« Difficile d'expliquer comment nous fonctionnons. Nous sommes atypiques. Les circuits de décision sont ultracourts. La promotion interne joue à fond », note le quinqua. Cinq cents managers, répartis dans le monde, ne possèdent pas moins de 33 % du capital du groupe. « Je n'ai pas de mandat de trois ans, et je ne suis redevable que devant mes clients et mes managers-actionnaires », observe Sadran. Pour ces derniers ça va plutôt bien : Newrest n'étant pas cotée, la valeur théorique de son action est calculée chaque année : elle est passée de 25 euros en 2005 à 1 030 euros l'an dernier. « Cette participation permet de donner un vrai visage de partage et de compréhension du capitalisme », assure Sadran, qui se sent proche de la vision américaine des affaires. Sans rien renier de ses origines…

« Je suis toulousain. J'aime ma ville », lance Sadran. C'est pour cela que, sollicité par la Mairie en 2001, il a accepté de reprendre le TFC, l'équipe de football de Toulouse, alors en perdition. « J'ai été vingt ans propriétaire du TFC, et je me suis débrouillé pour ne jamais faire de politique. Je me suis bien entendu avec les maires qui se sont succédé. Tout en leur disant toujours ce que je pensais. C'est mon caractère »,dit-il. La création du fonds Tolosa, dont il possède 51 %, est sa manière à lui de participer à la vie de sa région. On ne se refait pas, Sadran est entrepreneur dans l'âme. Son fonds prend des participations pour aider des initiatives locales dans les dark kitchens (Foudie), la boucherie (Maison Lascours), les résidences séniors (ABC Résidences), l'aménagement paysager et urbain (E2V Paysage). Cet hyperactif, fou de sport, s'occupe aussi d'un centre équestre pour cavaliers d'élite à Gauré, petit village situé à une vingtaine de kilomètres de Toulouse, et d'un golf à Albi.

Le mode de management de Newrest s’apparente à celui d’un sport collectif. Olivier Sadran

Le sport ? Voilà un sujet sur lequel Sadran, le taiseux, est intarissable. « Qu'y a-t-il de plus fort ? Il y a tout dans le sport, le travail, l'abnégation, la solidarité, mais aussi l'échec, le fait de se relever, l'émotion, le partage », s'enthousiasme Sadran. Lui-même pratique le freeride à ski, il court, fait du vélo… Son plus grand regret, c'est de n'avoir pu être un athlète de haut niveau. « C'est le drame de ma vie », confie-t-il. Pour motiver ses troupes, il fait appel à son ami Tony Parker, qui a impressionné ses personnels à Atlanta et à Houston, conviés à des barbecues géants ponctués de parties de basket avec l'idole des Spurs de San Antonio. Au siège, Sadran a fait installer une salle de sport avec un coach à demeure. Pour lui, « le mode de management de Newrest s'apparente à celui d'un sport collectif ». Et pas besoin de se demander qui est l'entraîneur, le sélectionneur et le capitaine de l'équipe Newrest. L'une de ses idées fixes ? « Je me bats pour briser les silos, qui sont le drame des entreprises modernes. Chacun fait son truc dans son coin et on appelle des sociétés de conseil pour arbitrer. Chez Newrest, les sociétés de conseil, il n'y en a pas. C'est interdit. Elles prennent le savoir des uns pour l'amener chez les autres », explique-t-il.

Direction partagée

Paradoxalement, cet homme, tout d'une pièce, partage la direction du groupe. Il est ainsi coprésident, et non pas président, aux côtés de Jonathan Stent-Torriani, 58 ans. Assemblage a priori baroque entre un Toulousain pur jus, autodidacte qui a quitté le foyer familial à 16 ans, et un Africain du Sud élevé au Canada, héritier d'une famille d'hôteliers, qui est passé par l'université McGill de Montréal et la prestigieuse École hôtelière de Lausanne. Pourtant, ça « matche », entre les deux hommes, qui se partagent presque la moitié du capital de Newrest. Associés depuis un peu plus de quinze ans, ils se connaissent par cœur. Le secret de cette entente tient peut-être au fait que Stent-Torriani réside à Genève. Et puis, reconnaît Sadran, « Jon est bien plus souple que moi : il est de très bonne composition ». Informellement, les deux hommes semblent s'être réparti les tâches. Sadran s'occupe plutôt des opérations au jour le jour, de l'animation des équipes, du recrutement, et Stent-Torriani de missions ciblées (marketing, ventes, acquisitions…). Mais rien n'empêche l'un de s'occuper de ce que fait l'autre, et, souligne Sadran, redoutable négociateur, « ce qui dicte la répartition des rôles, c'est l'efficacité et la vitesse d'exécution ».

On n’a jamais chassé le chiffre d’affaires. Ce qui compte pour nous, ce sont nos clients et la fréquence de renouvellement de nos contrats. Olivier Sadran

Les deux managers comptent sur un troisième comparse, discret mais influent. Henri Fiszer, 63 ans, financier pur et dur formé aux États-Unis, est présent lui aussi au capital. Il joue les sages et donne ses conseils sur la stratégie et les finances du groupe. Décidément unique, le mode de fonctionnement de l'entreprise Newrest peut décontenancer. Il n'empêche, les résultats sont là. Chaque année, le groupe affiche une croissance de 10 %. Il n'a pas un seul euro de dette et n'a jamais perdu d'argent, même pendant la crise du Covid. « On n'a jamais chassé le chiffre d'affaires, affirme Sadran. Ce qui compte pour nous, ce sont nos clients et la fréquence de renouvellement de nos contrats. » Le groupe vise pourtant un chiffre d'affaires de 2 milliards d'euros à l'horizon 2026. Un sacré saut…

Sources

Posté le
14.4.2023

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